Deux files d’attente pourraient se croiser ces prochains jours, pour des événements qu’a priori tout oppose. D’un côté, le lancement du désormais célèbre « Black Friday », et son cortège de promotions et rabais commerciaux pour stimuler la consommation avant les fêtes. De l’autre, le démarrage de la nouvelle campagne des Restos du cœur, qui devrait cette année encore distribuer plus de 140 millions de repas aux plus démunis. Un télescopage singulier de l’actualité, qui trahit la tension de l’époque entre le spectacle de l’abondance et la réalité de la pénurie.

Après deux ans de crises ininterrompues, les chiffres sont en effet aujourd’hui alarmants. Si le « quoi qu’il en coûte » a longtemps maintenu à flot l’économie, le tableau s’est nettement obscurci ces derniers mois. Plus de 10 millions de personnes en France vivent désormais sous le seuil de pauvreté, dont un grand nombre de jeunes et de mères isolées. Une portion plus grande encore redoute de glisser dans ce piège de la précarité, à force de voir son pouvoir d’achat rogné de tous les côtés. Car l’inflation, qui a accéléré à 6,2 % en octobre, touche particulièrement les dépenses contraintes, comme l’alimentation, dont les prix continuent de grimper plus vite que les minima sociaux. Et ce n’est pas la fin annoncée de la remise sur les carburants et la hausse de 15 %, l’an prochain, des prix du gaz et de l’électricité qui pourra rassurer ceux qui se sentent privés de filet de sécurité.

Le tableau est sombre, donc, mais ne doit pas pour autant pousser à la fatalité. Face à la pauvreté, des solutions existent, comme le montre ce numéro du 1. Pas des remèdes miracles, ni de l’argent magique tombé du ciel, mais des aides ciblées, financières ou humaines, à même de sauver des familles de la misère. Certaines existent déjà, soutenues par la puissance publique ou les associations ; d’autres gagneraient à être déployées ou étendues. Encore faut-il que le « pognon de dingue » alloué à la politique sociale parvienne à ceux qui en ont le plus besoin – en témoigne le non-recours au RSA de 30 % de ses bénéficiaires potentiels. Mais, surtout, que ceux-ci soient mieux écoutés et accompagnés sur le chemin de sortie de la pauvreté. On connaît la maxime de Lao Tseu : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours. » On pourrait ajouter qu’il vaudrait la peine de lui demander s’il mange du poisson. 

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